Carlos Tavares et Carlos Ghosn ne se parlent plus depuis que le premier a quitté Renault pour prendre la tête de PSA. Cela n’empêche pas les deux patrons, au caractère si différent, de faire grandir les deux grands groupes automobiles français.
A l’heure où s’ouvre l’édition 2017 du salon de Genève, les deux constructeurs français affichent une forme étincelante. PSA vient de finaliser le rachat d’Opel/Vauxhall lui permettant, avec 4,2 millions de véhicules vendus annuellement, de devenir le deuxième constructeur européen derrière Volkswagen. Lequel groupe allemand, avec plus de 10 millions de véhicules produits, partage le podium mondial, comme Toyota et l’Alliance Renault Nissan Mitsubishi.
Outre qu’ils sont bénéficiaires (2,2Mds d’euros pour PSA, 3,5 Mds d’euros pour Renault) et dégagent une rentabilité de respectivement de 6% et 5%, PSA et Renault ont chacun un patron prénommé Carlos diplômé de l’Ecole des Mines. Les similitudes ne vont guère plus loin entre Ghosn le polytechnicien tri-national (brésilienne, libanaise et française) et Tavares le compétiteur, tellement Français qu’on en oublie sa nationalité portugaise.
Difficile de trouver des styles plus différents entre ces deux hommes qui furent très proches par le passé et ne s’adressent plus la parole aujourd’hui. La brouille date de l’été 2013, lorsque Tavares, alors numéro 2 de Ghosn, a fait savoir qu’il aspirait un jour à devenir le patron d’un grand constructeur. « Carlos le grand » s’en est offusqué et « Carlos le petit » a quitté Renault pour rebondir, quelques mois plus tard, au volant d’un groupe PSA alors en difficulté.
Près de quatre ans plus tard, les deux Carlos se disent bonjour, se serrent la main quand ils se croisent dans des réunions internationales mais ne se parlent plus. « C’est un problème humain. Ils ne peuvent pas se sentir, tous simplement », confie un responsable qui les côtoie. « Tavares est un « car guy », un homme de l’automobile. Ghosn, lui, se voit comme un des grands industriels mondiaux et considère l’autre comme un petit industriel de l’Est de la France.»
L’animosité des deux PDG n’empêche cependant pas les équipes de se parler et de travailler ensemble dans des instances comme le Comité des constructeurs français d’automobile.
Les deux hommes ont des personnalités très différentes. Autant Carlos Ghosn, parfois surnommé « Napoléon », peut être cassant, austère et laisse transpirer un ego surdimensionné ne supportant pas la contradiction, autant Carlos Tavares, souriant et avenant, s’affirme comme un compétiteur passionné. Le premier, 63 ans ce 9 mars, aime parader parmi les puissants, comme au World Economic Forum de Davos, tandis que le second, 58 ans, a fait inscrire dans son contrat à la tête de PSA le droit de participer à 22 week-ends de courses automobiles par an.
Carlos Ghosn, enfin, cumulant les titres et les salaires pour dépasser les 10M€ annuels, ne se déplace jamais sans une cour de conseillers et a un agenda fixé un an à l’avance quand Carlos Tavares, à la rémunération plus modeste, bien que confortable (3 M€ de salaire et 2M€ en actions), se déplace comme un visiteur lambda dans les allées du salon de Genève. « Ghosn a toujours massacré ses numéros 2 et ce que réalise Tavares à la tête de PSA aujourd’hui montre qu’il représentait bien une menace pour lui », explique un expert automobile qui ajoute : « Tavares a été formaté aux méthodes Renault-Nissan. Tavares fait du Renault chez PSA et va le faire chez Opel. » Visiblement, la méthode fonctionne.
Tavares, apprécié par ses troupes
« Tueur de coûts », adepte d’une concurrence, créatrice d’émulation, entre les sites du groupe, Carlos Tavares a réussi à fédérer ses troupes chez PSA. « Il a réussi à insuffler un esprit de compétition qui manquait peut-être au groupe », note Maxime Picat, directeur Europe de PSA, selon qui « en 2012-2013, les gens avaient la conviction d’être au mieux du mieux et se regardaient un peu le nombril ». « Cet esprit de compétition fait que maintenant, dans tous les domaines, on analyse les benchmarks, les niveaux d’excellence, et on tend à s’en rapprocher », note Maxime Picat. Preuve
A l’exception de la CGT, même les responsables syndicaux louent les qualités du PDG. « C’est un gagnant, un battant qui fait tout pour que le groupe avance dans le bon sens. Il analyse et comprend rapidement les choses, sachant où le business doit être fait et pas fait », note un syndicaliste qui ajoute : « Maintenant, il met une dose d’humain dans son management. C’est mieux. A son arrivée, il ne regardait que le compteur des gains et des pertes. »
Ayant travaillé chez Renault avant PSA, ce responsable syndical estime que Tavares et Ghosn sont « très différents ». « L’un est charismatique, l’autre pas. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder leurs interventions télévisées. L’un suscite l’empathie, pas l’autre. Tavares est dans le monde réel alors que Ghosn, avec son ego surdimensioné, appartient déjà au monde du passé. Il ne connaît pas l’humilité. Malgré l’avis du conseil de surveillance de Renault, il a exigé d’avoir une augmentation de salaire. Qu’il a obtenue. Ghosn a un caractère très fort, est d’un abord austère, mais il a obtenu eu des résultats, comme Tavares, même si ce n’est pas le même management. Tavares, on aimerait le garder encore un peu. PSA a besoin d’un Zlatan », conclut le syndicaliste.