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17 mai 2017 3 17 /05 /mai /2017 07:40

 

CARLOS TAVARES INTERVIEW – A la tête du groupe PSA depuis 2014, Carlos Tavares a lancé de nombreux projets à la fois pour réformer le groupe, mais aussi le restructurer, améliorer sa rentabilité et le faire grossir. En marge du ePrix de Monaco, qui s’est déroulé le 13 mai dernier, il revient sur les engagements de ses marques en sport automobile, mais aussi sur le rachat d’Opel, récemment finalisé.

Vous êtes en train de réorganiser et de rassembler vos différentes entités Motorsport à Satory. Est-ce uniquement pour des raisons économiques ? Quelles sont les synergies attendues ?

Tout se met en place étape par étape, il ne nous reste plus que quelques bans moteurs à rapatrier. C’est une phase d’apprentissage de ce qu’on appelle un fonctionnement matriciel, où nous allons inclure de manière transversale les deux dimensions propres au sport automobiles : les métiers, et les programmes marques. C’est nouveau car la compétition, c’est plutôt le monde des commandos où chacun fait son travail dans son coin. Ce travail d’équipe, qui consistera à être très rigoureux et aller chercher le meilleur expert dans un domaine donné pour servir toutes les équipes va devenir notre nouvelle norme. Ca pourrait prendre un peu de temps (environ un an, ndlr.) mais je suis persuadé que quelques victoires vont nous permettre d’aller encore plus vite.

Vous êtes un patron-pilote, mais avez-vous toujours le temps de pratiquer le sport automobile ? Est-ce réellement compatible avec vos fonctions ?

Je pratique autant que je peux, c’est ma passion. Vis-à-vis des équipes Motorsport, il y a du positif et du négatif. D’un côté il y a la compréhension. Les gens savent qu’ils peuvent me parler avec leur vocabulaire de compétiteur et que je vais comprendre ce qu’ils vont me dire, et que cela ne remet pas en cause leur autonomie. D’un autre côté, il faut être très clair sur l’image que l’on donne. Le sport automobile est un outil marketing au service de la promotion et du commerce de nos marques, et nous n’y sommes pas engagés parce que je suis un passionné. C’est pour cela que certains sont surpris de l’approche très rationnelle que nous pouvons avoir de certains dossiers, car ils pensent qu’en s’adressant à des passionnés ils pourront mettre de côté la rationalité du business. Il ne faut pas se méprendre sur la manière dont j’aborde ces sujets-là. Ce que je souhaite, c’est que nos équipes s’épanouissent et obtiennent des résultats pour l’entreprise.

En tant que passionné, comment avez-vous perçu l’arrivée de la Formula e et ses moteurs électriques ?

En Formula E la mayonnaise est en train prendre d’abord parce que nous avons à la tête de DS Performance un super passionné de technologie en la personne de Xavier Mestelan-Pinon. Pour défricher un domaine dans lequel le groupe PSA doit faire énormément de progrès il est, avec son équipe, exactement ce qu’il nous faut. Très bientôt la marque DS sera totalement électrifiée, et la convergence entre ce qu’on apprend ici en matière de gestion d’énergie, de nouvelle technologie et les futurs véhicules de série que nous proposerons bientôt est évidente et nécessaire. Le seul vrai risque de la Formula E, c’est qu’elle se laisse griser par son succès et connaisse une explosion de ses coûts. Si les organisateurs réussissent à conserver cette dimension technologique en maitrisant les budgets, ce sera gagné.

Comment voyez-vous l’avenir de la discipline ?

Il y a deux dimensions : il faut améliorer sa notoriété et continuer de développer la présence du championnat en centre-ville. Car dans les paddocks des circuits, on rencontre toujours les mêmes personnes, et le sport automobile est en train de devenir une affaire de spécialistes et de passionnés. La frange de personnes qui se déplacent jusqu’au circuit pour voir des événements automobiles courants est extrêmement étroite. Débarquer avec le barnum de la Formula E en centre-ville pour toucher une clientèle plus large et différente est un élément structurant. Par ailleurs, la présence de nombreux constructeurs en Formula E représente à la fois de grandes opportunités mais un énorme danger. La course à l’armement et la sélection par l’argent pourrait faire que seuls deux ou trois d’entre nous puissent suivre. La réglementation technique sera donc déterminante, et les pouvoirs sportifs doivent être épaulés pour contrôler cela, car ils ne savent pas forcément inventer le règlement qui répond aux impératifs budgétaires des constructeurs. Quand on voit ce qui se passe dans les autres disciplines, on comprend mieux les enjeux pour la Formula E. Si le rendement médiatique est inférieur aux dépenses, ce n’est plus rentable d’un point de vue marketing.

Vous semblez ainsi indiquer qu’un retour en WEC et aux 24 Heures du Mans est impossible car trop cher pour Peugeot, malgré les mesures prises par l’ACO pour tenter de réduire les coûts ?

Vous avez bien compris, et ce n’est pourtant pas faute de travailler avec eux, d’ailleurs dans un très bon esprit. Le WEC est une discipline où il faut réunir beaucoup de compétences, et la compétitivité du sport automobile en tant qu’outil marketing doit être protégée. C’est parfaitement rationnel et la pérennité de ces disciplines passe par là.

Quand déciderez-vous d’y retourner ou non ?

Je n’ai pas de calendrier car je suis en négociations. On ne peut pas négocier si on est pressé. Nous avons gagné deux fois le Dakar, et il n’est pas impératif pour nous d’aller en WEC, comme nous pourrions également arrêter le Dakar, et l’entreprise trouvera d’autres moyens de promouvoir ses marques et son image. Il se trouve que les activités sportives ont des respirations en termes de format et de règlement, qui constituent autant de fenêtres pour un constructeur qui veut y entrer. Mais j’ai indiqué à l’ACO et à la FIA qu’au-dessus d’un certain montant, le dossier ne sera pas présenté au comité exécutif du Groupe PSA parce que son rendement économique sera mauvais. Dans tous les autres cas, il faut que la totalité de l’équipe soit d’accord afin que nous soyons efficaces. Il y a beaucoup de conditions à réunir.

De quelle manière étudiez-vous la possibilité d’intégrer un nouveau programme sportif ?

Bien que je sois passionné, je me mets en retrait et je laisse les membres du comité exécutif discuter autour des budgets, de l’impact médiatique et de la comparaison avec les autres outils marketing. Compte tenu des efforts que je leur demande à tous les niveaux –nous voyageons tous en classe économique et via des compagnies low-cost- et du fait que nous sommes entrés dans une lutte économique très élevée, il y a une dimension éthique que nous ne pouvons pas oublier, des montants que nous ne pouvons pas afficher.

Vous passez beaucoup de temps sur le terrain et vous abordez très souvent la partie financière, dans un secteur qu’on juge déjà extrêmement efficient et compétitif…

L’industrie automobile n’est pas très compétitive, elle est devenue d’une brutalité incroyable. Je discute très souvent avec le personnel des usines, qui se battent à l’année pour économiser quelques centimes sur la production d’une pièce. Cette rationalité est une question d’éthique, qui m’interdit d’aller dépenser beaucoup d’argent en sport automobile, alors qu’en usine nous avons des milliers de gens qui se battent pour des centimes et qui participent à l’amélioration de notre rentabilité. J’ai plusieurs amis qui travaillent dans d’autres industries qui me disent que nous ne vendons pas les voitures assez cher compte tenu des marges opérées ailleurs. Le prix auquel nous vendons le kilo de technologie est dérisoire, mais il est lié à la dureté de notre milieu.

Ne pensez-vous pas que ces questions de maitrise extrême des coûts, même pour les déplacements de vos cadres les plus important, puissent avoir un impact sur la performance, le moral des troupes voire l’image du groupe ?

C’est vrai et c’est pour cela que nous sommes discrets sur le sujet mais c’est d’abord une image d’exemplarité vis-à-vis de nos propres collaborateurs à qui nous demandons beaucoup d’efforts. Ce raisonnement économique n’enlève rien au fait que nous devons promouvoir nos marques et que si nous avons trois programmes mondiaux sur les trois marques du groupe c’est parce je reconnais que les activités sportives sont bonnes pour notre image. Mais le « pricing power » reste pour moi fondamental.

En WRC, la saison démarre durement pour Citroën, que pensez-vous de leur manque de résultat, malgré une victoire au Mexique ?

Les plus déçus, pour le moment, ce sont les gens de Citroën Racing eux-mêmes. Je ne vais donc pas rajouter ma déception à la leur. Nous avons vécu la même chose avec Peugeot lors de leur première participation au Dakar, parce que les équipes se mettent beaucoup de pression quant au résultat. En WRC, ce dont avons besoin, c’est de donner confiance à nos collaborateurs, qui ont fait une voiture très compétitive et qui a encore progressé avec les dernières évolutions en termes d’amortissement, mais aussi à nos pilotes, qui ont fait des erreurs et doivent reconstruire leur confiance. Mais je suis certain que les étoiles vont finir par s’aligner. Il faut rester persévérant, rigoureux et solidaire.

Pourquoi Citroën n’a pas engagé Sébastien Ogier alors qu’il était libre à la fin de la saison dernière ? N’est-ce pas dangereux en termes économiques mais aussi d’image, de prendre le risque de se faire battre par quelqu’un qui roule à bord d’une voiture exploitée par une écurie privée ?

C’est pertinent mais notre vision est différente. D’abord il faut se rappeler si Sébastien Ogier est ce qu’il est c’est parce qu’à un moment donné des gens lui ont donné sa chance, et parmi eux il y avait les équipes de Citroën. Nous avions pris des engagements auprès de deux autres jeunes quand Volkswagen s’est retiré, et même si nous sommes dans un monde chaotique où l’on se permet tout, même si cela peut paraitre difficile à comprendre pour certain, chez PSA il y a une éthique. Quand on prend des engagements on les respecte. Par ailleurs, la question économique existait également. On voit bien que Sébastien Ogier apporte une grande valeur ajoutée, mais si on avait mis l’argent qu’il fallait pour le convaincre de venir, on aurait dû baisser nos autres budgets.

PSA vient de faire l’acquisition d’Opel. Comment allez-vous positionner cette marque par rapport à Peugeot, Citroën et DS ?

Ce qui m’intéresse dans l’acquisition d’Opel, c’est qu’elle soit une marque germanique, dont nous avons besoin dans notre portefeuille. Même si de temps en temps nous en souffrons il y a aujourd’hui des consommateurs qui préfèrent les marques allemandes aux marques françaises. Pour moi Opel est complémentaire de nos autres marques, et les études que nous avons menées démontre que le taux d’hésitation entre Peugeot et Citroën d’un côté, et Opel de l’autre est extrêmement faible. Je vais donc demander à la direction marketing d’Opel de développer la « germanitude » de la marque.

Opel lance actuellement un véhicule électrique à l’autonomie élevée. Cela représente un bel avantage pour PSA qui n’a plus de VE dans sa gamme. Est-ce que cette technologie restera dans le groupe lorsque le modèle sera remplacé ?

Ce n’est pas un sujet. Nous avons par contrat l’autorisation de General Motors pour utiliser cette technologie pendant toute l’existence de cette génération d’Ampera-e, et même un peu plus. Mais à partir de 2019, le groupe PSA lancera ses propres technologies 100 % électrique et hybride rechargeable. Lorsque nous aurons remplacé les plateformes de General Motors par celles de PSA, nous atteindrons un très haut niveau de compétitivité. De ce côté, je suis serein.

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